
Tant que durent les rêves - 4 questions à Roland Fuentès
Vos trois héros principaux ont chacun un rêve qui est très important à leurs yeux, et auquel ils sont pourtant sur le point de renoncer. Comment l’idée de ce roman vous est-elle venue?
Elle est venue peut-être d’une expression qu’on entend beaucoup sitôt qu’on exprime un souhait jugé ambitieux: « Tu rêves! » Comme si le meilleur n’arrivait qu’aux autres... J’ai vécu ma jeunesse accroché à deux passions: la natation et la littérature. Profondément, je rêvais de devenir champion olympique et écrivain. Grâce à mes parents, qui m’ont toujours encouragé, et au club d’Aubagne, qui m’a formé, j’ai pu intégrer la section sport-études d’Antibes et m’entraîner durant quelques années dans des conditions optimales. Hélas, des troubles musculaires inexpliqués à l’époque m’ont contraint à arrêter prématurément la compétition. Mais cela fait partie du jeu : le mental et le physique sont souvent liés, et ces troubles musculaires résultaient peut-être d’un blocage inconscient. Par la suite, j’ai connu l’immense bonheur de réaliser mon autre rêve. Aujourd’hui, je suis persuadé que sans l’exigence et la persévérance acquises grâce au sport de haut niveau, je n’y serais jamais parvenu. À travers le destin de trois personnages, nourrissant chacun une ambition rare (champion olympique pour Nathan, écrivaine pour Alicia, et star de la télé pour Romain), j’ai voulu mesurer la force qu’il faut pour prendre ses rêves au sérieux.
Le doute va s’immiscer peu à peu dans l’esprit de Nathan. Pouvez-vous nous parler de ce personnage?
Nathan a dix-huit ans. Il habite à La Ciotat, près de Marseille. Il a la chance de savourer sa passion, la natation, sans avoir dû quitter son environnement familial. Pour lui, tous les voyants sont au vert : il vit une relation sans nuages avec Alicia, et s’entraîne dans des conditions idéales sous la houlette de Jeanne, surnommée la « Dame de Fer ». Sa famille et ses amis le soutiennent, et il est pressenti pour intégrer l’équipe de France juniors, ce qui compense la dure routine d’un sportif de haut niveau. Hélas, une petite voix, qu’il nomme « la Bête », enfle au fond de son crâne, de plus en plus insidieuse : « Laisse tomber. » « C’est pas pour toi... » « Tu rêves! »
Dans votre roman, les rêves auxquels nous cessons de croire s’incarnent sous forme
de fantômes. Qu’est-ce qui caractérise cette vie de fantôme? Est-ce votre première incursion
en littérature «fantastique»?
Ces fantômes d’un genre particulier sont condamnés à errer pendant quelques jours dans le monde auquel ils appartenaient. Ils peuvent voir et entendre tout ce qui se passe, ils peuvent se déplacer partout et très rapidement, mais ils demeurent invisibles pour le commun des mortels, et notamment pour la personne qui les portait... Un compte à rebours se met alors en place : s’ils ne parviennent pas à réintégrer ce que Nathan nomme leur « avatar », ils s’affaibliront, se recroquevilleront dans des souffrances infernales, et disparaîtront à jamais. Le fantastique, je l’avais déjà abordé dans des textes pour adultes, puis dans des albums et des premières lectures à destination des plus jeunes, ainsi que dans mes romans parus en collection Tip tongue (éditions Syros). En littérature pour ados, les hasards de l’inspiration m’avaient emmené ailleurs, jusqu’à aujourd’hui...
À travers vos personnages, vous essayez de comprendre pourquoi certains d’entre nous arrivent
à croire suffisamment en eux pour accomplir des exploits. Et vous nous donnez des conseils
précieux! D’où les tenez-vous?
Je dois préciser qu’il s’agit d’un roman, non d’une méthode infaillible pour réussir dans la vie... Toutefois, afin d’étayer mes réflexions sur le sujet, j’ai interrogé d’anciens camarades de bassin qui, pour certains, ont eu des destins hors-norme. Notamment, pour ne citer qu’eux, Franck Esposito (1) , Romain Barnier (2) et Fabrice Pellerin (3). Ces anciens sportifs de haut niveau, devenus entraîneurs, ont propulsé leurs nageurs sur les plus hautes marches des podiums internationaux. Ils m’ont permis de cerner au mieux le sujet principal de ce livre en répondant à des questions très simples telles que : « Qu’est-ce qui fait peur à un nageur ? » ou « Comment lutter contre cette peur ? ». Ce qui est valable pour le sport me semble valoir aussi pour de nombreux domaines. Ne dit-on pas que le sport est une école de la vie ?
1. Quadruple champion d’Europe, vice-champion du monde, troisième aux J. O., champion et recordman du monde en petit bassin. Entraîneur, à Antibes, de Coralie Balmy et Damien Joly, finalistes olympiques.
2. Membre du relais français médaillé de bronze aux championnats du monde de Barcelone, en 2003. Entraîneur, à Marseille, de Florent Manaudou (champion olympique, triple champion du monde et quadruple champion d’Europe) et Camille Lacourt (quadruple champion du monde et quadruple champion d’Europe).
3. Entraîneur, à Nice, de Camille Muffat (championne olympique), de Yannick Agnel (champion olympique, champion du monde et champion d’Europe) et de Charlotte Bonnet (championne d’Europe).
Né à Oran en 1971, Roland Fuentès a enseigné l’allemand à mi-temps pendant dix ans, employant l’autre partie de son temps à écrire des nouvelles et des romans, d’abord pour adultes – entre autres Douze Mètres Cubes de littérature (éd. du Rocher, 2003, prix Prométhée de la nouvelle), La Bresse dans les pédales (Nykta, 2005), Le Passeur d’éternité (Les 400 coups, 2007) – puis pour la jeunesse. Chez Syros, il a déjà écrit deux aventures de Gérald et de son écrivain préféré, dans la collection “Tempo” : Un écrivain à la maison (2010) et Un écrivain dans le jardin (2013).
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