
POV - 5 questions à Patrick Bard
#1 Pourquoi vous êtes-vous attaqué au sujet de l’addiction à la cyberpornographie chez les jeunes ?
En enquêtant sur l'embrigadement via les réseaux sociaux pour mon précédent roman, Et mes yeux se sont fermés, j'ai eu l'occasion d'aborder le sujet de la dépendance aux écrans, aux jeux en ligne et au cybersexe avec des adolescents et des enseignants. Je me suis dit qu'en raison de son aspect moral, le sujet du cybersexe était sans doute bien moins fréquemment abordé que celui des jeux en ligne, par exemple. S'y atteler comporte des risques, c'est scabreux, glauque. Mais c'est le lieu d'une souffrance véritable qui n'est pas moindre que pour d'autres addictions. Elle est simplement moins souvent exposée. J'aime explorer les zones d'ombres. Elles font partie de notre humanité. Enfin, je suis intimement persuadé que notre société de consommation fonctionne exactement sur les mêmes ressorts que l'industrie du porno: le désir alternant avec la frustration engendre un nouveau désir, qui, une fois satisfait, engendre une nouvelle frustration, etc.
#2 Qui sont vos personnages ?
Le héros, car c'en est bien un, s'appelle Lucas. Il a 16 ans, il a grandi en région parisienne avant de s'installer avec ses parents dans un pavillon de la banlieue de Chartres. Il a visionné son premier porno en ligne à 11 ans avec des copains, et il a commencé à en regarder seul à partir de 13 ans. Dès la puberté, il a développé une forte dépendance au cybersexe avec pour conséquence une inaptitude à la vie sociale proportionnelle à son addiction. Il n'a pratiquement pas de copains et aucune copine. Son seul support affectif réel, c’est son chat. Vu du dehors, Lucas est juste un geek. C'est du moins ce que pensent ses parents.Sébastien, son père, la petite quarantaine, est commercial dans une entreprise d'informatique. Il a pris en charge la vie de la maison quand Lucas était enfant. Marie, sa mère, comptable dans une entreprise de la Cosmetic Valley, a été victime d'une dépression quand Lucas avait 6 ans. Les séquelles en sont encore visibles. Enfin, il y a Eloïse, que Lucas rencontre dans la deuxième partie du roman au centre de post- cure, en Bretagne. Eloïse a été dépendante aux MMORPG, les jeux en ligne massivement multijoueurs. Sa mère était également addicte. Elles ont été expulsées de leur appartement parce qu'elle ne payait plus le loyer. Sevrée brutalement, Eloïse a décompensé et se retrouve en centre. Elle y rencontre Lucas dont elle sera le premier amour.
#3 En quoi votre roman peut-il parler aux ados ?
Jamais les ados n'ont été comme aujourd'hui confrontés aux écrans et aux addictions multiples dont ils sont le support. En matière de pornographie, dire que l'offre est pléthorique relève de l'euphémisme. Des pans entiers du cyberporno sont produits pour les ados. Tout autant que leurs parents, d'ailleurs, ils sont très mal préparés à affronter ce tsunami d'images. Dans les deux camps, on est mal à l'aise pour en parler. Paradoxalement, la pornculture est largement entrée dans le vocabulaire courant des ados. Elle entraîne une conception de la sexualité biaisée par les vidéos en ligne, par les rôles qu'y tiennent hommes et femmes. Les filles en viennent à penser qu'une sexualité qui va à l'encontre de leurs désirs profonds est normale. Les garçons ne trouvent pas non plus leur compte dans cette sexualité formatée. Ils ont souvent peur de ne pas être à la hauteur des performances des pornstars masculines. Ce roman est destiné à tous. Il peut aider à mettre des mots sur les choses. Et les mots manquent, en la matière, largement plus que les images !
#4 Quelle est la forme du roman ?
Ce n'est pas un roman choral comme le précédent. Mais ce n'est pas non plus un roman linéaire. Si sa structure est plus classique, en prologue, deux parties et épilogue, il y a des flashbacks, et, ce qui tend le récit, de légers sauts en avant avant de revenir au présent, temps auquel l'histoire est rédigée. Aussi, et c'est important, je n'ai porté aucun jugement sur Lucas ni sur les autres personnages du roman. Le lecteur ressentira, je l’espère, de l’empathie envers Lucas, qui est tombé dans le piège de la cyberpornographie très jeune, et par hasard. Je n'ai surtout pas voulu faire un roman moralisateur.
#5 Comment avez-vous travaillé sur l'addiction ?
J'ai mené un long travail d'enquête. J'ai échangé avec des enseignants, des ados sur la dépendance en ligne. J'ai séjourné dans un centre de post-cure addictologique, rencontré sa psychologue, parlé avec David Le Breton, spécialiste de la psychologie des adolescents. Je me suis rendu à l'hôpital Marmottan qui possède un service d'addictologie sexuelle depuis quelques années. J'y ai rencontré une psychiatre sexothérapeute, la bibliothécaire m'a communiqué de nombreux articles, j'ai lu beaucoup d'ouvrages sur la question, j'ai visionné beaucoup de vidéos pornos sur de nombreux sites et dans de nombreuses catégories, des documentaires, consulté des thèses, etc. Bref, un gros boulot !