
Le jour où mon père a disparu - 4 Questions à Benoît Séverac
Le jour où mon père a disparu est un roman noir intimiste, où la question de l’engagement est au premier plan. Comment votre histoire est-elle née ?
D’un engagement, précisément. Celui d’une partie de ma famille dans le mouvement Lutte Occitane des années 70. J’ai toujours été attiré par cette quête identitaire, et en même temps, je m’en suis tenu éloigné en y opposant une vision mondialiste (je me considère comme un citoyen du monde), pensant (à tort) que les deux choses étaient antagonistes. J’étais en réaction, j’imagine. Et puis, il y a eu un événement déterminant pour moi, à l’âge de 52 ans : j’étais l’an dernier en résidence d’écriture avec Hervé Jubert en Oklahoma (USA), dans la réserve indienne des Osages. Nous nous y trouvions au nom de l’association Oklahoma-Occitania, en repérage pour un roman que nous sommes en train d’écrire. J’ai fait la connaissance d’un monsieur âgé, un certain Herman Lookout. Il est l’inventeur de l’alphabet osage et considéré comme un guide spirituel dans sa tribu, un Speaker Master. Quand il nous a reçus dans son centre culturel, parmi tous les enseignants du centre, il nous a remerciés et félicités de nous intéresser à sa culture. Il a ensuite établi un parallèle (pertinent) entre la culture indienne bafouée par les Blancs et la culture occitane victime de l’hégémonie française. Il a conclu en nous demandant ce que nous faisions, en tant qu’Occitans, pour aider notre langue et notre culture à survivre. Je suis resté sans voix. Qu’étais-je venu faire chez les Indiens à 8 000 km de Toulouse, que je ne pouvais faire chez moi pour ma propre culture ? Comme toujours face à ce genre de question existentielle, ma réponse est dans l’écriture. C’est à ce moment précis que s’est imposée à moi l’urgence d’écrire sur cette question.
Le lecteur s’attache immédiatement au personnage d’Étienne, qui ne peut compter que sur lui-même. Comment avez-vous fait pour créer un personnage si attachant ?
Je me suis toujours facilement identifié et attaché aux personnages de « rejetés »,
« montrés du doigt », « mis au ban du groupe ». Je n’ai donc eu aucun mal à créer celui d’Étienne !
Les parents d’Étienne forment un couple soudé, même s’ils ont connu des moments difficiles et qu’ils ne savent pas tout l’un de l’autre. Quel rôle ce couple joue-t-il pour vous dans le roman ?
Ce couple symbolise parfaitement la famille : le lieu de l’amour absolu, mais également le lieu du secret, du non-dit. Le lieu de la stabilité, et, à la fois, celui où vous aurez le plus de mal à affirmer votre véritable personnalité. C’est un lieu de confiance et, en même temps, c’est au sein de votre propre famille que vous devez le plus vous battre pour être vous-même. On en part un jour, et on y revient toujours. C’est ce que fait Étienne.
Revendiquer son appartenance à une culture donnée revient-il forcément à en exclure les autres ? Quelle situation est la plus enviable, celle d’Étienne dont la famille est enracinée dans un territoire, ou celle de son ami Yannis qui n’a pas d’attaches pour avoir déménagé trop souvent ?
Là réside la question centrale de ce roman ! Et au-delà du roman, celle d’une vie. Se revendiquer d’une culture en excluant les autres, vivre sa culture comme un repli sur soi, comme une histoire figée, est l’erreur qu’ont commise certains à une époque. En donnant une image exclusive et violente du régionalisme, ils ont rebuté des tas de gens qui souhaitaient retrouver leurs racines (occitanes, basques, corses, bretonnes, alsaciennes, etc.) sans avoir à se détourner de leur culture française, européenne, mondialiste. Heureusement, il y a aujourd’hui une majorité de militants régionalistes qui ne tombent pas dans ce travers, et ne confondent pas régionalisme et nationalisme. Personnellement, j’envie Étienne pour la force que ses racines pourront lui donner, et Yannis pour l’ouverture d’esprit que lui procurera l’enfance nomade qu’il a eue. C’est toujours une question d’équilibre.
Benoît Séverac est auteur de littérature noire et policière, adulte et jeunesse. Ses enquêtes reposent sur un contexte social et psychologique documenté. À chacun de ses ouvrages, un univers différent. Ses romans ont remporté de nombreux prix, et certains ont été traduits aux États-Unis ou adaptés au théâtre. Benoît Séverac collabore à divers projets mêlant littérature et arts plastiques, musique… Il prend également part à des productions cinématographiques. Il vit à Toulouse.