
Kaplan - 4 questions à Sébastien Gendron
#1 Pouvez-vous nous présenter le monde politique dans lequel se déroule votre histoire ?
Le décor principal de Kaplan vient d’un rêve récurrent que j’ai fait pendant de très nombreuses années. Dans mon rêve, il y avait notamment ce boulevard périphérique en forme d’œil qui délimite la République de Leeton, et ces vastes places à l’architecture néoclassique qui la caractérisent. Mon roman repose sur l’affrontement entre deux États. En gros, le Cushinberg, c’est le duché du Luxembourg qui aurait tourné fasciste. Leeton, c’est le quartier historique au centre du Cushinberg qui, lui, est entré en résistance. Un peu à la façon de ce qu’a connu Paris en 1871 avec la Commune. Sauf que là, l’insurrection a marché, et le Leeton est donc devenu un État souverain entouré par une dictature qui n’a de cesse que de vouloir se le réapproprier. Et, histoire de bien se démarquer, le gouvernement du Leeton se renouvelle chaque année, c’est une sorte d’hyperdémocratie. Mais qui a aussi ses défauts, bien entendu. Notamment celui de trop vouloir faire oublier à sa population qu’elle est totalement coupée du reste du monde. Donc, de l’encourager à vivre dans une certaine irréalité.
#2 Parlez-nous du personnage de Kaplan. Quelle est sa vision du monde au début du roman ? Pourquoi est-ce lui que l’on envoie déstabiliser le gouvernement de Leeton ? Dans quel état d’esprit aborde-t-il cette mission ?
Kaplan dirige une brigade de contre- insurrection au sein de l’appareil d’État du Cushinberg. C’est une sorte de machine à exécuter les ordres sans les discuter. Un parfait élément du rouage dictatorial qui est bien récompensé pour son travail. Jusqu’au jour où il commet une erreur. En tout cas, on l’accuse d’avoir mal évalué sa dernière mission, ce qui a coûté la vie à toute une famille. En guise de sanction, il est donc envoyé au Leeton où il devra se faire passer pour un transfuge prêt à livrer des informations sur le Cushinberg. C’est la première fois depuis le début de sa sinistre carrière que Kaplan ne se sent pas en confiance. Pour lui, c’est une mission suicide. Il est partagé entre sa loyauté au régime et la peur d’y laisser sa peau. Et là, il commence à douter sérieusement du bien- fondé de sa tâche.
#3 Une relation forte et mystérieuse va se nouer entre Kaplan et Rimbolt, l’adolescent de quinze ans qui l’accueille à son arrivée à Leeton. Qu’est-ce qui oppose vos deux personnages et qu’est- ce qui, de façon inattendue, les relie ?
On apprend vite que Rimbolt, malgré ses presque 16 ans, est lui-même un agent du service de renseignement du Leeton. Il a pour mission secrète d’accueillir Kaplan, et leur rencontre n’est donc pas accidentelle et encore moins innocente – ce que Kaplan ignore. Entre les deux personnages, un lien va se construire fait de mensonges, de légendes mais aussi d’une amitié sincère. Un rapport d’autant plus fraternel que le frère aîné de Rimbolt a disparu depuis de nombreuses années, passé à l’ennemi.
#4 Dans un monde où chacun manipule l’autre en fonction de son propre intérêt, où la vérité se laisse difficilement atteindre, qu’est-ce qui donne à un adolescent de quinze ans la force d’espérer et d’agir coûte que coûte ? Quelle réflexion souhaitez-vous partager avec les jeunes d’aujourd’hui ?
Ce qui m’a intéressé dans l’écriture de ce roman, c’est de traduire ce que peut être la force des idées. Rimbolt, tout comme Kaplan, pense que son pays est du bon côté, que sa politique est la bonne. Il ne connaît pas autre chose. Et même si, effectivement, le Leeton est plus moralement défendable que la dictature du Cushinberg, Rimbolt va se rendre compte que, dans son rôle d’agent du renseignement intérieur, il n’est après tout qu’un enfant-soldat, lui- même endoctriné par le pouvoir de son pays. L’envie de fuir cet endroit pour découvrir le monde va s’emparer de lui pour ne plus le lâcher. Kaplan n’a pas eu cette chance-là. Mais sa mission au Leeton va le modifier lui aussi. Ce roman n’a pas à proprement parler de message. Il montre juste deux personnages qui se ressemblent à la base, l’un (Kaplan) pouvant presque être symboliquement l’avenir de l’autre (Rimbolt). Et ce qui va se dérouler au cours de ce récit permettra à Rimbolt de faire un choix pour sa vie : ne pas devenir Kaplan, s’arracher à une sorte de destinée effrayante. En fait, rien n’est jamais couru d’avance dans la vie, sauf qu’on n’a pas souvent l’occasion de comprendre qu’on fait fausse route, ni le courage d’entamer un changement radical.