
Interview de Stéphanie Hoyos-gomez, éditrice chez Syros sur Ava
Qu’est-ce qui chez Maïté Bernard a retenu votre attention ?
J’ai connu Maïté à travers un premier manuscrit de roman qu’elle nous avait envoyé en 2008, et qui répondait au titre intriguant de Un cactus à Versailles. Nous l’avons publié un an plus tard, dans la collection « Tempo+ ». C’est l’histoire d’une famille versaillaise très soucieuse des apparences, où l’on n’a pas tellement le droit à l’erreur, et dont le fils aîné est incarcéré pour avoir commis un acte violent. Le sujet du roman excède largement celui du milieu social : comment réagiriez-vous si une personne qui vous était très chère se conduisait d’une façon que vous jugez horrible ? Pourriez-vous l’aimer encore ? Il y avait dans la première version du texte une dimension « polar » qui nous semblait un peu superflue, et que Maïté a gommée. Les personnages de ce roman, et notamment l’héroïne (Marie-Liesse, la plus jeune sœur de la fratrie), sont si étonnants et détonants, si formidablement humains, assumant comme ils le peuvent leurs contradictions, que l’histoire se soutenait très bien sans cette intrigue supplémentaire. Marie-Liesse est d’ailleurs devenue l’héroïne d’un deuxième roman paru en 2011, Trois Baisers.
Pouvez-vous me décrire votre relation éditrice-auteure ?
Maïté m’envoie toujours une version très aboutie de ses romans. Ce n’est pas le cas de tous les auteurs, il arrive qu’on me demande un avis sur un début, une histoire en développement, la première version d’un texte… Je ne sais jamais rien à l’avance des histoires qu’écrit Maïté. Le tome 3 de « Ava » se clôt sur une incroyable révélation qui remet en perspective les deux premiers tomes, et dont je n’ai pas été prévenue davantage que les autres lecteurs ! Je ne sais rien à ce jour du cinquième et dernier tome de la série. Je suis donc placée dans la même position que le lecteur qui découvre les livres, mon regard n’est pas biaisé. Je donne à Maïté ma lecture du texte, le plus objectivement possible, sans risquer de me conformer malgré moi à la vision qu’elle en a puisque je ne la connais pas. Je crois que Maïté est un des auteurs à qui j’ai écrit mes plus longs mails. Non pas qu’il y ait tellement de choses à redire sur ses manuscrits ! Mais parce que j’essaie d’avoir le même degré de précision et d’exigence qu’elle a elle-même pour ses romans, dont les personnages sont toujours extrêmement riches et complexes, cernés avec un sens de l’introspection rare.
Qu’est-ce qui vous a séduite dans le projet « Ava » ?
Ce qui m’a séduite dans le projet « Ava », c’est d’abord le fait qu’une auteure douée pour explorer tout ce qui touche à l’intime et à la perception de soi décide de créer un personnage doté d’un pouvoir surnaturel. Ava n’est pas définie par son don, loin de là. C’est davantage un point de départ, une particularité (comme tout le monde en a en naissant) dont Maïté tire, de façon très réaliste cette fois, toutes les implications possibles qu’elle aura sur la vie de son personnage. Ce qui compte, ce n’est pas tant qu’Ava voie les fantômes, mais qu’elle n’ait jamais, à cause de cela, pu parler en toute franchise avec ses parents, qu’elle se soit niée elle-même pour partie durant des années. Puis qu’elle soit d’un coup projetée sur le devant de la scène quand elle accepte finalement d’être ce qu’elle est, elle qui préférerait tellement rester discrète et polie. Qu’elle se confronte enfin à un très grand nombre d’adultes (tous les fantômes qu’elle console) dont elle essaie de comprendre les parcours de vie, alors qu’elle n’a que seize ans. J’aurais adoré lire les « Ava » quand j’étais adolescente. Il me semble que l’on peut comprendre à travers ces romans des choses sur la vie que l’on ne nous dit jamais. Voyez, à la fin de La Mort préfère Ava, cette leçon de vie donnée par Cecilia (la très vieille dame consolateur à qui Ava va succéder), qui nous laisse sans voix. Ajoutez à cela le sens de l’autodérision réjouissant de Ava, son regard sur ses propres faiblesses qui nous la rendent si proche et nous font rire, son côté glamour (malgré elle parfois), mais aussi le talent particulier de Maïté Bernard pour parler des relations entre les adolescents et des histoires d’amour, et puis bien sûr l’écriture de Maïté, précise, fluide, qui ne nous emmène jamais exactement là où on croit aller, et vous comprendrez aisément pourquoi j’aime ces romans. Pour découvrir le point de vue de l’auteur, Maïté Bernard, rendez-vous sur le webzine de la revue Citrouille !