Fanny Abadie nous parle de Vous retiendrez mon nom !
• Votre roman plonge le lecteur dans le décor d'une cité d'une ville de province, que vous décrivez de façon très réaliste, avec ses bons et ses mauvais côtés. Pourquoi avoir choisi une intrigue de polar comme porte d'entrée sur cet univers ?
J'ai choisi une intrigue de polar car il me semble que le manque de repères y est plus aigu. Les notions de bien et de mal sont brouillées. Et à l'instar de l'ensemble de la société, la vérité et le droit à la vérité sont des notions qu'on s'approprie au détriment de l'éthique. Après le meurtre de Zineb, Karim cherche à tout prix à connaître le meurtrier. Mais lorsqu'il découvre la vérité, il ne sait pas quoi faire. Pour protéger son ami Sublime, il est prêt à se taire. Son hésitation est une hésitation légitime, circonstancielle : elle montre la défiance envers la police et la justice. Mais c'est aussi une hésitation morale, même si le héros ne se le formule pas du tout ainsi. Doit-on hésiter à rendre justice ? C'est une vraie question.
C'était également une façon de montrer la solidarité qui existe dans les quartiers. Malika, la mère de Zineb, est très entourée par ses voisines, ses amies. La manifestation, qu'organise Hamza, est un succès. Tout le quartier vient à l'enterrement. Ce sont peut-être des petites choses, mais elles sont très importantes quand on vit un deuil.
• Il y a cette idée que tout se sait dans le quartier, et pourtant plusieurs de vos personnages jouent un double-jeu. Souvent Karim a cette pensée qu'il ne connait pas si bien ceux à côté de qui il a toujours vécu, à commencer par Zineb. Ce motif du secret, c'est quelque chose qui vous intéressait ?
Ce n'est pas tant le motif du secret qui m'intéressait que l'idée qu'on peut vivre près des gens sans savoir qui ils sont vraiment. On vit ensemble, parfois même, comme au sein d'une famille, dans la même maison, mais on ne connaît pas les rêves, les aspirations, les goûts, les désirs profonds de nos proches.
Souvent, les vies sont des trajectoires, parallèles. Ou bien, on pose des étiquettes. On se dit : "Untel est comme ça parce qu'il fait ci ou ça", et on n'en déroge plus sans se rendre compte qu'untel évolue, change et que, finalement, il échappe complètement à l'idée qu'on s'en fait. Ce qui m'intéressait également, c'était les stratégies mises en place par des ados pour réussir à être eux-mêmes dans un microcosme où chacun vous scrute et vous oblige à être conforme à des attentes parentales ou sociales.
• Les adultes de votre histoires sont plutôt en retrait de l'action. Le père de Karim est "largué", Hamza est décidé à se faire justice lui-même... Dans ce contexte, comment se construit la relation entre Karim et la commissaire Mesronces qui, en plus d'être une adulte, endosse le rôle de représentante de la loi ?
Elle se construit difficilement, Karim n'arrive pas à faire confiance. Pas seulement à Mesronces, mais aux adultes en général. Il les méprise. Sauf Driss, son coach de boxe.
Mesronces sent que Karim a du potentiel, elle a un bon feeling avec lui. Elle est sincère dans ses remarques, quand elle lui dit qu'elle l'aime bien. Elle a l'intelligence de lui parler d'égal à égal. Petit à petit, Karim va se rendre compte qu'elle a vraiment envie de faire le job, de trouver l'assassin de Zineb. Il est sensible à son implication. Lorsqu'elle retrouve Sublime, Karim oublie presque qu'elle est une flic, pour voir en elle celle qui a sauvé son ami.
• Votre texte a un rythme qui pulse et une vraie oralité dans son écriture. Comment vous y êtes-vous prise pour que cela sonne aussi juste ?
C'était compliqué car il ne fallait pas caricaturer cette oralité. Comme je travaille avec des adolescents, je suis à l'écoute de leurs façons de bouger et de parler. Et puis, j'ai essayé d'être la plus "transparente" possible dans l'écriture. J'ai cherché à ce que l'écriture permette que la scène se dresse tout de suite dans l'imaginaire du lecteur, comme sur un écran de cinéma.
• Quelle bande-son nous conseilleriez-vous pour accompagner la lecture du roman ?
Le "Freestyle 5min #10" de Zkr, "À l'ammoniaque", "Zoulou tchaing", "La misère est si belle" de PNL, " Guts over fear" d'Eminem, "Bring the noise" et "Harder than you think" de Public Enemy, "Regretté" de Rohff, "Let me blow ya mind" de Eve feat. Gwen Stefani, mais aussi l'album Thanks for the Dance de Leonard Cohen et Ghosteen de Nick Cave.
Vous pouvez écouter la playlist sur Spotify ou Deezer durant votre lecture.
L'autrice
Fanny Abadie a fait des études de philosophie à Caen avant de débarquer à Toulouse. Elle travaille auprès d'adolescents depuis plus de vingt ans. "Vous retiendrez mon nom" est le quatrième livre qu'elle écrit pour la jeunesse.