
E.V.E - 4 questions à Carina Rozenfeld
#1 Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est une E.V.E. ?
C’est une entité (c’est d’ailleurs l’acronyme de Entité.Vigilance.Enquête.), qui surveille la ville de Citypolis. Ses 30 millions d’habitants ont tous une puce insérée dans leur système nerveux qui permet aux E.V.E.s de « voir » à travers les yeux de chacun, et de les surveiller. Dès qu’un crime est commis, une E.V.E. le voit, et prévient des agents d’intervention qui vont arrêter le coupable quasiment en temps réel. De plus, l’entité enregistre les faits qui servent de preuve absolue contre le criminel. Le système de justice est ainsi efficace et ultra rapide.
#2 Comment E.V.E. va-t-elle devenir Eva ? Qu’éprouve-t-on, quand on devient un être humain, que l’on s’incarne pour la première fois ?
Une des E.V.E.s, celle qui l’on suit dans l’histoire, assiste à un acte de violence contre une jeune femme, Eva, mais elle ne parvient pas à identifier son agresseur. Pour tenter de comprendre pourquoi, elle s’immisce dans la puce d’Eva, qui est dans le coma et déclarée en mort cérébrale. C’est ainsi qu’elle prend possession de son corps et devient humaine. J’ai tenté d’imaginer les sensations, les impressions, les questionnements liés à ce changement. La découverte des cinq sens, de la faim, de la soif, de la douleur, mais aussi de l’amour, du plaisir… En s’incarnant, E.V.E. prend conscience d’elle-même. De son corps en tant qu’humaine, mais les questions concernant son état de machine naissent également à ce moment-là. Elle ignore totalement ce à quoi elle ressemble en tant que E.V.E. et elle part en quête de plusieurs vérités.
#3 L’enquête sur la mort de la vraie Eva est un élément central de votre roman, qui prend très vite des allures de thriller. Comment avez-vous construit votre intrigue ?
Au commencement, E.V.E. se persuade qu’elle a besoin de devenir Eva pour mener l’enquête, car elle est limitée par son statut de « machine ». Équipée d’un corps, de capacités d’échanges, elle peut combler ces limites. Mais elle reste une E.V.E. malgré tout et elle n’a pas d’autre choix que de continuer à faire ce pour quoi elle est programmée. L’intrigue se noue autour du fait que ce sont ses deux facettes qui lui permettent de progresser et de comprendre les différents aspects de l’affaire. Eva, en tant que civile, n’a pas accès à certaines informations, alors que E.V.E. est au cœur du réseau de la ville. Inversement, E.V.E. ne peut pas se déplacer, poser des questions, alors que Eva le fait. Pour mener ses deux existences de front, elle va devoir mentir, redoubler de vigilance, afin de préserver son secret. Et bientôt, ce sont ses deux identités qui vont se retrouver menacées, car elle ne parvient plus à être pleinement ni l’une ni l’autre, et il lui est de plus en plus difficile de renoncer à être Eva.
#4 E.V.E. devenue Eva est touchante, innocente, mais aussi terriblement effrayante. Le lecteur doit-il l’aimer ou en avoir peur ?
Je ne sais pas s’il faut en avoir peur. Après tout, maintenant que nous sommes nous aussi connectés en permanence, ne devenons-nous pas également hybrides d’une certaine manière ? À vrai dire, je trouve la nouvelle Eva touchante. Elle est terrible par la connaissance qu’elle a des hommes, grâce aux informations stockées dans leurs puces et auxquelles elle a accès, mais elle est en réalité comme une enfant qui découvre le monde, équipée d’un ordinateur surpuissant. Elle est forte et apeurée à la fois, elle ne cesse de poser des questions qui résonnent avec celles que nous nous posons également, et que nous oublions parfois de nous poser, indissociables que nous sommes de ce corps qui nous a été donné à notre naissance. La relation que nous avons aux machines est troublante, c’est indéniable. Dans le roman, Silas, qui est en quelque sorte le gardien de E.V.E., ne peut s’empêcher de ressentir une forme d’amitié envers elle, alors qu’il est le mieux placé pour savoir qu’elle est une machine. Est-ce qu’un jour, nous pourrons nous mêmes ressentir de l’affection envers une Intelligence Artificielle ? À quel moment dépassons-nous le fait d’être face à une entité sans âme pour lui en attribuer une ? Notre tendance à faire de l’anthropomorphisme nous pousse à cela, et une machine aussi évoluée que E.V.E. encourage ce genre de comportement. Aussi, quand la machine a été traitée comme une humaine et prend le corps d’un humain, qu’est elle, finalement ?