
Comprendre, aimer, défendre le conte ! # épisode 6
L’oeuvre de toute une vie
Un répertoire est l'ensemble des récits racontés par le conteur. C'est l'oeuvre de toute une vie, un signe de reconnaissance et un trésor à transmettre. Il peut être lié à une histoire et à une géographie personnelles, donc avoir un lieu d'ancrage : un pays, un village… Obéir à une nécessité, comme une langue et une culture à défendre… Ou bien être éclectique, à l'image de notre village planétaire. Aujourd'hui le conteur peut s'abreuver à de nombreuses sources, tant humaines que livresques. Il peut également inventer. Mais même si les contes n'appartiennent à personne, en choisissant de raconter certains récits appartenant à une mémoire populaire, le conteur est un passeur qui fait sienne cette matière universelle. Traditionnellement, on pouvait apprendre auprès d'un « maître » conteur, de bouche à oreilles. À la condition de transmettre à son tour et de s'inscrire dans la chaîne de transmission du répertoire. « Ce que tu reçois de la taille d'une main, rends-le de la taille du bras », dit un proverbe tunisien. Ce mode d'« héritage », empreint de responsabilité, n'existe plus guère aujourd'hui… Les nouveaux conteurs ne sont plus dépositaires d'un répertoire transmis, mais ils glanent leurs récits au gré de lectures et lors de rencontres avec d'autres, à l'occasion de formations et de spectacles. Le travail d'écriture personnelle, de papier comme de bouche, reste nécessaire. Conter, c'est chaque fois recycler, re-créer et mettre en circulation. Cependant, acquérir et construire un répertoire reste un long travail de recherche, de documentation et d'essayages auprès de différents publics, dans des lieux variés, et au gré de circonstances spécifiques. Honorer des commandes permet d'arpenter des aires géographiques et des thématiques inconnues. Le conteur choisit toujours mais les contes le choisissent aussi. Cette réciprocité est nécessaire. Son répertoire n'a pas besoin d'être vaste, cela varie avec la personnalité de chacun. Certains cisèlent leurs contes et les répètent presque à l'identique avec un égal bonheur, d'autres préfèrent laisser le champ libre à l'improvisation.
Un organisme vivant
Un répertoire est un organisme vivant qui s'étoffe et se modifie au gré des ans et de la pratique ; il ne s'use que si l'on ne s'en sert pas. Il se renouvelle sans cesse, le conteur pouvant « revisiter » ses contes à l'envi ! Certains contes restent dans la course, d'autres sont abandonnés, soit par lassitude, soit parce qu'il s'agissait d'une rencontre éphémère liée à une commande et non à une nécessité. Les nouveaux contes prennent du temps avant de trouver leur mesure et leur place dans le répertoire. Il faut les raconter de nombreuses fois pour les « éprouver » ; c'est souvent la différence entre une histoire inventée et un conte : ce dernier résiste mieux à la répétition, les pans mystérieux s'éclairent ou parfois s'obscurcissent. Certains récits nous accompagnent toute notre vie, ne cessent de se modifier et restent comme neufs à chaque mise en bouche. Ce sont nos morceaux de bravoure ! D'autres s'effacent, fatigués d'avoir été trop racontés.
Transmettre un patrimoine
Le métier nous amène à proposer, suivant les publics auxquels nous nous adressons et en accord avec le cadre qui nous est offert, toutes sortes de récits. Aussi, tel un pianiste qui ferait ses gammes, tout conteur devrait être en mesure de connaître des devinettes, une menterie, une randonnée, une fable, un conte d'animaux, un mythe, une légende, un récit merveilleux, un conte facétieux, une légende urbaine, un récit de vie ! C'est-à-dire un panorama de la littérature orale, à adresser aux publics concernés, avec le souci constant de transmettre un patrimoine. Évitons l'exotisme, adoptons et adaptons en connaissance de cause les « contes venus d'ailleurs », choisissons bien nos sources, et respectons tant que faire se peut les éléments culturels en jeu. Aujourd'hui où le nombre de conteurs va grandissant, le répertoire va-t-il en se diversifiant ? Récits ou histoires de vie, emprunts à la littérature sont de plus en plus à l'ordre du jour… Qu'en restera-t-il ? Seul l'avenir nous le dira.
De Muriel Bloch : Le schmat doudou, Contes insolites et insolents
Pour suivre la conteuse : www.murielbloch.com/