
Comprendre, aimer, défendre le conte ! # épisode 4
La présence en temps réel
Ce qui caractérise la pratique du conteur (ou de la conteuse), c'est sa présence en temps réel et la relation qu'il (elle) établit en direct avec son auditoire. À partir de là, rien n'est fixé une fois pour toutes, c'est le vivant de la rencontre qui va donner son épaisseur à la forme du récit. L'histoire va trouver son adéquation en fonction du lieu, du temps durant lequel elle s'inscrit, et dans la complicité qui se crée entre « la scène et la salle »... Le corps qui raconte a son mot à dire ! Son implication ne sera pas égale si l'histoire est regardée sur un plateau large et à distance (dans ce cas l'aspect visuel sera prédominant), dans un endroit de grande proximité (où seul le haut du corps est visible), ou encore sous un arbre l'après-midi avec un public en cercle... De même (et ceci est un mystère absolu), le public n'aura pas non plus la même attitude d'une séance à l'autre et il influencera forcément l'expression et la liberté de la parole s'il fait « corps » ou s'il est dispersé.
Tout un petit théâtre
L'oralité est fondée sur le rapport ambivalent entre ce qui est suggéré par la parole et ce qui est donné à entrevoir chez celui ou celle qui raconte, sans d'ailleurs qu'il le prévoie tout à fait, presque à son « corps défendant ». Même à l'économie, le narrateur (la narratrice), au gré de sa rêverie, laisse échapper de manière éphémère, et quelquefois imperceptible, tout un métalangage : gestes, attitudes, regards, apartés, personnages vaguement croqués, voire déplacements et incorporations diverses... N'étant pas un personnage lui-même, il a toute liberté de faire apparaître par bribes, spontanément, et avec plus ou moins d'insistance, ce petit théâtre de l'histoire mise en scène par la bouche. Les conteurs sont tous différents (certains utilisent davantage l'espace et jouent de manière privilégiée avec le public, d'autres s'adressent plus à l'oreille, et cela peut aussi dépendre du type d'histoire ou de conte narré), de telle sorte que la voix et le corps produisent des images qui engagent celui ou celle qui raconte d'une manière absolument originale. Tel soir (et d'une façon différente un autre soir), un mouvement de la main, un sourire, un froncement de sourcils, une rupture dans l'attitude vont souligner tel trait du scénario et lui donner telle couleur, à la façon d'un montage de séquences successives ou plus ou moins simultanées, dans ce qu'on pourrait appeler une sorte de « cinéma du pauvre ».
Cinéaste du direct
Dans ce sens, on peut dire que l'art du conteur s'apparente à celui d'un cinéaste du direct qui n'aurait comme écran que sa présence pour cadrer ses images, et s'adjoindrait la complicité d'un public chef opérateur les recréant à son tour sur la toile de son imaginaire... Tout au long de sa narration, par cet écran du corps qui donne à voir l'histoire, le narrateur-monteur crée des zooms, des travellings, des gros plans, des fondus-enchaînés, etc. de manière plus ou moins spectaculaire. Il n'a pas besoin d'en faire voir beaucoup puisque le public fait la moitié du chemin dans une sorte de malentendu créatif parfaitement assumé et convivial, fort en cela d'une expérience datant de la nuit des temps...
Détendu et concentré
Le corps du conteur, de façon complémentaire avec la parole, joue et déjoue le sens de ce qui est dit dans un dialogue unique et sans cesse renouvelé, laissant tout à imaginer à celui qui regarde et écoute. Pour conclure, on dira que cela nécessite un travail d'entraînement à la gymnastique des images « impressionnantes ». Les laisser se manifester dans sa voix et son corps en toute liberté requiert de rester à la fois détendu et concentré pour éviter d'illustrer son récit de façon redondante et sans en perdre le fil ni l'objectif. Le conteur ou la conteuse, pour rester vivant sans perdre la mémoire, aura tout intérêt à être à l'écoute de ceux qui le suivent sur le chemin si joyeusement escarpé du voyage intérieur. Pour partager ce plaisir du rêve éveillé, il devra avant tout aimer le conte ou l'histoire qu'il aura choisi.
De Pépito Matéo : Le petit Cépou
Pour suivre le conteur : www.icimeme.fr/artists.php