Comment j'ai écrit un roman sans m'en rendre compte - 4 questions à Annet Huizing
#1 Comment est né le personnage de Katinka, votre héroïne si attachante ?
L’idée de Katinka m’est venue un jour pour ne plus me quitter. J’avais une image très nette d’elle, je la voyais assise à sa petite table dans le ferry de Terschelling, tandis que son père et son frère se trouvaient sur le pont. Ne plus avoir de mère semble la laisser indifférente. Comme si elle ne se rendait pas compte de ce qu’elle ratait. La situation change lorsqu’une nouvelle femme fait son entrée dans leur famille, Dirkje. Il ne s’agit pas d’une méchante belle-mère, mais d’une personne chaleureuse, affectueuse. C’est précisément pour cela que Katinka commence à regretter sa mère. Je trouve Katinka émouvante — si l’on peut dire cela de son propre personnage —, elle n’est pas sûre d’elle et ne s’ouvre pas beaucoup aux autres, pourtant elle sort de sa coquille lorsqu’il le faut vraiment. Par exemple, elle n’ose pas faire le premier pas avec Lidwine, mais elle sonne tout de même chez elle. Et elle se montre courageuse dans la quête de sa mère. J’aime aussi les liens forts (mais non exprimés) de Katinka avec son père. J’ai adoré écrire les scènes entre ces deux personnages. Katinka me ressemble-t-elle ? En tous les cas, elle ne ressemble pas à la jeune fille de 13 ans que j’étais. Je ne voulais pas devenir écrivaine. Et j’avais, très banalement, un père et une mère. Mais il y a tout de même quelque chose de moi chez Katinka : elle manque de confiance en elle tout en étant décidée. Nous partageons peut-être également le même discernement sur ce qui nous entoure.
#2 L’idée géniale de ce livre, c’est que le lecteur lit une histoire captivante, et qu’on lui explique en même temps comment elle a été écrite, les trucs et astuces qui en font une histoire réussie. Comment avez-vous construit votre roman ?
Merci pour le compliment ! C’est vrai qu’écrire ce livre n’a pas été facile. Tout d’abord parce que c’était ma première œuvre de fiction.
J’ai commencé par lire une pile d’ouvrages sur l’écriture. J’en ai tiré les leçons les plus importantes que j’ai mises en fiches. Mon but, au début, était d’écrire un livre éducatif, mais lorsque j’ai décidé de faire une fiction — une fiction sur l’écriture de la fiction —, j’ai mis de côté mes livres et mes fiches. J’ai pensé : les leçons d’écriture qui sont vraiment importantes vont s’imposer naturellement. Je n’ai inséré que les conseils qui s’intégraient dans le récit. Je ne voulais pas faire quelque chose d’exhaustif, je voulais surtout une belle histoire, les conseils d’écriture ne devaient pas détourner le lecteur du récit. Le plus difficile pour moi, c’est que les intrigues devaient s’imbriquer et s’influencer. Durant leurs entretiens sur l’écriture, un lien particulier naît entre Lidwine et Katinka : cela transforme les deux personnages. Je voulais que le lecteur puisse le lire entre les lignes.
#3 « Show, don’t tell », « Ne dis pas, montre », c’est la première chose qu’explique à Katinka la romancière Lidwine. Est-ce effectivement le premier secret à connaître quand on veut écrire un roman ?
« Show, don’t tell », est l’une des techniques à maîtriser si l’on veut écrire. Ce n’est pas une règle, on n’est évidemment pas toujours obligé de tout « montrer », on peut aussi expliquer certaines choses. « Show, don’t tell », cela signifie que l‘écrivain permet au lecteur de ressentir, de vivre l’histoire. Personnellement, je n’aime pas les livres dans lesquels on explique et désigne les choses par leur nom. Pour moi, le « Show, don’t tell » va de soi. Je pense à une scène et je commence par faire des films dans ma tête. Petit à petit, les détails s’accumulent : ce qui se passe, le décor, comment parlent les personnages, ce qu’ils font et ce que l’on ressent. J’attends d’avoir visualisé toute la scène dans ma tête pour me mettre devant mon ordinateur. J’essaye alors d’écrire ce que je vois et ce que j’entends. Afin que le lecteur puisse voir ce film à son tour.
#4 Pensez-vous réellement que devenir écrivain, ça s’apprend ? Qu’on ne doit pas hésiter à se lancer dans l’aventure ?
Ce serait saboter mon livre que d’affirmer le contraire, ha ha ! Je pense effectivement qu’on peut apprendre à être écrivain, mais cela demande un vrai effort, sauf si on est naturellement très doué. Comme le dit Lidwine : il faut apprendre des techniques et entraîner ses muscles d’écriture. J’ai été rédactrice durant vingt ans : c’était un bon entraînement. En tant qu’écrivain, il faut aussi savoir réfléchir logiquement. Quels sont les motifs des personnages, leurs dilemmes, comment ils se développent, quelle influence ils ont les uns sur les autres : on veut retrouver tout cela dans une intrigue qui soit non seulement vraisemblable, mais aussi passionnante. Il faut également avoir de l’imagination, et, de temps en temps, une « idée géniale » . Je trouve absolument merveilleux que mon livre soit publié en France ! C’est une expérience assez bizarre : mon ambition n’a jamais été d’écrire de la fiction, mais lorsque l’idée m’est venue — écrire un roman sur ce sujet —, j’ai pensé : et si je me lançais ? C’est fou que mon premier roman soit si bien reçu et même traduit ; je pense régulièrement : personne n’aurait imaginé que j’en arriverais là !