
Après la chute, le nouveau roman de Marie Leymarie !
• En lisant Après la chute, le lecteur vibre à chaque nouvelle épreuve sportive à laquelle Lilou se soumet. Notre empathie pour votre héroïne est immense. Le thème du sport de haut niveau touche-t-il personnellement ?
Je n'ai pas fait de haut niveau, mais la gymnastique a été très importante dans ma vie d'ado. C'était un contrepoids salutaire au collège/lycée, où je me sentais à l'étroit. J'ai aimé la gym comme un espace de liberté, où chacun progresse à son rythme et fixe ses propres limites.
Quand j'ai intégré la meilleure équipe de mon club, la gymnastique est passée au premier plan. Mais très vite, j'ai déchanté. Avec la pression, les attentes des adultes, finie la liberté. J'ai commencé à avoir peur, à faire des blocages, à me blesser... j'ai tout arrêté ! Etonnament, la gymnastique a continué à m'habiter pendant des années. Tourner la page n'est pas facile. C'est le thème du roman : comment faire le deuil de son rêve quand on a le sentiment de ne pas être allé au bout ? Je pense que c'est mon roman le plus personnel.
• Quelles sont les particularités de la gymnastique ?
Les gymnastes filles finissent leur carrière très jeunes. A seize ans, Lilou sait qu'elle n'aura pas d'autre chance de participer à des Jeux. On lui reproche déjà de ne plus être assez légère, d'avoir pris du poids... C'est pour cela qu'elle va passer outre les recommandations du médecin, oublier sa blessure au talon et continuer de tout donner.
C'est vraiment un sport où on apprend à ne pas écouter son corps, à faire fi de la peur et de la douleur. J'ai été marquée par la lucidité et la détermination de filles de huit-neuf ans qui disaient : "A force d'avoir mal, on ne le sent pratiquement pas" ou encore "Au fond de nous, on a mal, mais faut montrer à tout le monde qu'on n'a pas mal, quoi !". Je trouve les gymnastes très, très courageuses.
• Dans la famille de Lilou, chacune des trois filles occupe une place à part. Pourquoi est-ce elle qui va aller si loin dans la compétition et pas sa soeur ainée ?
La naissane de la petite troisième, Clara, autiste, plonge momentanément la fille dans le chaos (les parents doivent tout reconfigurer dans leur tête, apprendre à être les parents de cette enfant-là, etc.). Ce chaos, les deux autres filles le subissent de plein fouet.
Julia, l'aînée, devient agitée, désobéissante. Mais ses parents, comme ses entraîneurs, n'entendent pas son mal-être et lui renvoient l'image d'une petite fille capricieuse, dificile. Aussi renonce-t-elle à son besoin de plaire aux adultes et s'enferme-t-elle dans sa posture de rebelle. Par ailleurs, bien que très douée (et peut-être même plus que Lilou), elle n'a pas sa combativité. Quand elle est challengée par sa soeur, elle baisse les bras.
Lilou, elle, endosse le rôle de la réparatrice. Il y a quelque chose de généreux dans sa volonté de réussir : elle sent qu'elle fait du bien à tout le monde. Et en même temps, il y a un renforcement positif de son image, elle est confirmée dans son désir de gagner. Et puis, Lilou a cette niaque des seconds, qui admirent profondément leur aîné et rêvent de l'égaler, voire de le surpasser. Ca peut être un moteur très puissant !
• La gymnastique de compétition engage le corps et l'esprit de l'athlète. Est-ce dangereux de demander à des enfants et des adolescents un tel dévouement ?
Oui, il y a clairement un risque. Je pense que les champions, comme les premiers de classe, sont des jeunes particulièrement sensibles aux désirs de leurs parents et de leurs entraîneurs, parce qu'ils sont à la fois très empathiques et qu'ils ont un fort besoin d'être aimés. Et puis il peut y avoir une relation fusionnelle avec le coach, qui remporte des succès personnels à travers ceux de l'athlète. C'est un terrain favorable aux relations d'emprise et aux agressions sexuelles. Ces enfants ont moins que d'autres la capacité de dire "Stop, je n'y trouve plus mon compte" ou "Ce que je vis n'est pas normal".
Avec la libération de la parole, la société est peu à peu en train de prendre conscience de ce risque. On peut espérer qu'elle cherche à mieux protéger les enfants. Les insultes et le dénigrement doivent être clairement proscrits. Ensuite, cela passe par davantage d'écoute : il faut que l'entourage réagisse dès la moindre alerte. Et ça, c'est plus facile s'il y a une prise de conscience collective, et qu'on cesse d'être dans le déni.
• Pour gagner, faut-il avoir à l'esprit que perdre n'est pas si grave ?
Hum... Je ne dirais pas que perdre n'est pas grave, car pour gagner à ce niveau-là, il faut en avoir vraiment très envie ! En revanche, perdre ne doit pas vous atteindre en profondeur. Si l'échec vous détruit, vous ne pouvez pas être un champion, parce qu'un champion, c'est quelqu'un qui se relève et qui repart. Si la confiance en soi est assez solide, l'échec devient un moteur.
Je crois aussi que c'est comme dans la fable du chêne et du roseau. Si on est tendu tout le temps, on casse... Les champions doivent savoir autant "tout donner" que "lâcher prise" pour récupérer, ce qui est impossible quand on est quelqu'un d'anxieux. Lilou est trop sérieuse, trop désireuse de bien faire. Elle ne relâche jamais la pression, et il faudra cette fameuse chute, ce coup d'arrêt brutal, pour qu'elle se donne enfin le droit de baisser ses exigences et de vivre pour elle-même.
L'autrice
Marie Leymarie a d'abord été documentaliste et a animé des ateliers d'écriture avec des enfants en difficulté scolaire. Depuis 2005, elle écrit et traduit des romans pour la jeunesse. Ses textes mettent en scène la vie quotidienne, la famille, les relations aux autres et à soi. Chez Syros, elle est notamment l'autrice de Les effets du hasard, Mock Boys et Never Ever.
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