6 questions à Elsa Valentin
Et à l'association Dulala qui nous racontent leur collaboration autour de l'album Chaproucka.
Elsa Valentin, pouvez-vous nous parler de votre parcours ? D’où vous vient votre goût pour les langues, qu’elles soient inventées ou non ? Avez-vous des lectures ou des écoutes qui vous ont marquée en ce sens ?
Elsa Valentin :Je suis devenue professeur des écoles après des études de lettres, et j’ai écrit mon premier album jeunesse en 2008, au retour de deux années au Cap-Vert, où j’enseignais dans une petite école française. J’ai beaucoup voyagé quand j’étais étudiante et jeune enseignante, et c’est peut-être à partir de ce moment-là que j’ai pris goût aux langues et cultures étrangères. J’ai trouvé beaucoup d’intérêt à observer les liens et les échanges entre les langues, les racines communes qu’on retrouve dans les langues latines par exemple, les mots qui voyagent d’une langue à l’autre, la façon dont elles évoluent et se transforment.
Par ailleurs, j’ai toujours été fascinée par les langages inventés, de ceux qu’on s’invente entre amis jusqu’à ceux qu’on rencontre dans la littérature, des poèmes d’Henri Michaux aux Motordus de Pef. Ainsi j’ai été autant marquée par la poésie du xxe siècle (Michaux donc, mais aussi Prévert, Ponge, Desnos, Apollinaire, Guillevic) que par les auteurs et autrices jeunesse que j’ai découverts en devenant professeur des écoles (Elzbieta, Anne Brouillard, Mitsumasa Anno… et Claude Ponti bien sûr !).
Comment s’est faite la rencontre avec l’association Dulala autour du projet Chaprouchka ?
E. V. : J’ai rencontré l’association Dulala au cours du séminaire Babil Babel de l’agence Quand les livres relient à l’automne 2018. Nous avons senti que nous avions beaucoup de choses à nous dire, et qu’un projet littéraire plurilingue pourrait peut-être nous réunir dans un avenir proche ou lointain. Quelques mois après, j’ai été contactée par Anna Stevanato, la présidente, et Coline Rosdahl, la responsable pédagogique. Elles m’ont proposé ce projet de Petit Chaperon Rouge plurilingue.
En quoi ce projet d’album multilingue s’intégrait-il dans la mission de l’association ?
Dulala : L’association Dulala a développé depuis une dizaine d’année la “Boîte à histoires”, un outil magique qui permet, à partir d’objets symboliques qui sortent d’une grande boîte à chapeau, de raconter des contes dans toutes les langues. Le conte du Petit Chaperon rouge est le premier à avoir été adapté à cet outil ! Dix ans plus tard, Dulala a souhaité modéliser une mallette à langues qui s’appuierait sur ce conte. Dans cette mallette, on trouve donc les objets symboliques créées initialement et des activités autour des versions plus classiques du Petit Chaperon rouge. Il nous a semblé important également de penser un album plurilingue qui permettrait aux enfants de se frotter à la diversité des langues et des cultures au sein d’une même histoire. Dulala a donc sauté sur son téléphone pour proposer le projet à Elsa Valentin, dont nous connaissions déjà l’audace avec laquelle elle joue avec les mots d’ici et d’ailleurs.
Pourquoi avoir choisi précisément d’adapter le conte bien connu du Petit Chaperon rouge, qui existe déjà dans de multiples versions ?
D. : Le Petit Chaperon rouge est un conte qui a beaucoup voyagé et qui s’est laissé approprier par de nombreux conteurs. On en retrouve ainsi des versions dans les régions de France, mais aussi dans différents pays européens, et même sur d’autres continents (voir par exemple Les histoires du Petit Chaperon rouge racontées dans le monde dans la collection Tour du monde d'un conte chez Syros !). Mais le Petit Chaperon rouge, c’est aussi un des grands classiques de l’école en France, une de ces histoires qui font partie du patrimoine commun que partagent les élèves.
Ce sont ces deux aspects qui nous ont intéressées à l’heure de réfléchir à une version plurilingue d’un conte : sa malléabilité à l’épreuve de différentes cultures et langues, et sa familiarité avec les enfants et les familles vivant en France.
Comment avez-vous choisi les langues représentées dans l’album ? (Vous les parlez toutes ?!) Le choix de ces langues a-t-il eu une incidence sur la direction de l’histoire, sur la représentation des personnages ?
E. V. : Je voulais que les langues présentes me viennent de rencontres, d'amis ou de voyages, qu’elles aient un sens pour moi. J’ai démarré par celles qui me sont les plus familières. Je les parle et les comprends plus ou moins bien, mais je les côtoie ou les ai côtoyées de près dans ma vie. Il s’agit de l’anglais, de l’italien, du créole capverdien, du wolof. J’ai ensuite fait appel à mes amis. Par exemple des demandeurs d’asile qui vivaient dans mon département des Hautes-Alpes au moment où j’ai commencé à écrire, ou avec qui j’avais gardé des liens d’amitié forts malgré la distance. C’est ainsi que le zaghawa, le peul guinéen, le bambara, l’arabe, le landouma et le soussou ont fait leur apparition. D’autres amis m’ont apporté le japonais, l’espagnol, l’occitan, le norvégien, l'allemand. J’ai aussi ressorti des carnets de voyage, pour le ladakhi ou le mongol par exemple. Puis j’ai fait appel à l’équipe de Dulala pour aller encore plus loin géographiquement (quechua, russe, lituanien...) et pour les vérifications, transcriptions, etc.
Ainsi, les lecteurs peuvent entrer dans Chaprouchka en passant mentalement d’un conte à l’autre, et les mots en différentes langues résonnent avec ceux bien connus en français. Le choix des langues n’a pas eu d’incidence sur la direction de l’histoire ou les personnages, mais bien sûr j’ai revisité le conte à ma façon : comment parler de la forêt sans glisser de petits clins d’oeil aux enjeux écologiques de notre temps ? Dans Chaprouchka, le loup ne veut plus manger personne, la grand-mère joue des tours à sa petite-fille, et tous tombent d’accord pour replanter des arbres !
Bien qu’une trentaine de langues soient employées, l’histoire reste compréhensible pour le lecteur. Comment êtes-vous parvenue à cet équilibre entre la musicalité, l’humour et la bonne lisibilité du texte ?
E. V. : C’était tout l’enjeu de ce texte, un véritable défi ! S’appuyer sur la syntaxe et choisir avec soin des mots étrangers qui sont assez transparents ou bien rendus évidents par le contexte, choisir aussi des mots faciles à lire et à prononcer, et bien sûr trouver le bon rythme, la musicalité, la fluidité. J’ai donc privilégié des mots dont l’orthographe dans leur langue n’entraînerait pas une prononciation trop différente par un lecteur français. Et bien sûr, parmi ceux-là, j’ai retenu ceux dont les sonorités m'intéressaient. J’ai également joué avec les attendus d’un conte bien connu dans son déroulement, mais aussi dans ses répliques incontournables, pour intégrer des mots dont le sens devait être donné en grande partie par le contexte.
Mais pour élaborer ce patchwork, je n’ai pas appliqué de méthode raisonnée ; au moment de l’écriture, les choix étaient assez intuitifs. Je me suis laissée emporter par l’énergie créatrice de ce projet jubilatoire, et l’essentiel du texte est venu assez vite. Ensuite, lors des nombreuses relectures et ré-écritures, avec l’aide de Coline de Dulala et de Syros, nous avons pesé, vérifié, affiné, fait des choix de transcriptions pour certains mots. Il fallait arriver au meilleur équilibre possible entre fluidité, lisibilité et respect des différentes langues invitées.
Les autrices
Elsa Valentin a publié une quinzaine d’albums jeunesse et livres audio. Elle écrit des histoires, chante et anime des ateliers pour enfants. Elle est notamment l’autrice de Bou et les 3 zours, une version détournée de Boucle d’Or dont le langage inventé est fait de mots valises, de mots étrangers et d'étymologies facétieuses. Cet album a été vendu à plus de 25 000 exemplaires à ce jour. |
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Diplômée des Arts Décoratifs de Paris, Florie Saint-Val travaille aujourd’hui comme illustratrice pour l’édition jeunesse, la presse et la communication visuelle. Elle a publié des albums aux éditions MéMo, Les Fourmis Rouges, Mango… |
L'association
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Créée en 2009, Dulala est aujourd’hui une référence dans l’éducation en contexte multilingue. Organisme de formation, Dulala accompagne les acteurs des champs éducatif, culturel ou social dans la mise en place de projets ouverts sur les langues. Véritable laboratoire, Dulala s’appuie sur des réseaux de chercheurs et de professionnels pour concevoir des pratiques et des ressources testées sur le terrain. |
Ressources pédagogiques
Sur Syros Live, un lexique enrichi : chaque mot de l’histoire est lu par un locuteur natif pour une prononciation authentique.