5 questions à Danielle Thiéry
L'autrice nous livre les secrets d'écriture de Cannibale, son premier Thriller young adult.
1. Dans Cannibale, le capitaine Marin enquête sur l’agression subie par une adolescente, Roxane, et sur la disparition, au même moment, de son ami Rafaël. En quoi est-ce une enquête particulièrement ardue ?
C’est une enquête qui, d’emblée, place très haut le curseur de la réaction policière. En raison, d’abord, de la personnalité des « victimes », de leur encore jeune âge. La mobilisation policière est immédiate et importante dès lors que des enfants ou des ados sont concernés. Il faut noter, également, le contexte dans lequel ces affaires surviennent. La nuit, dans une forêt peu hospitalière, avec des pièges partout, un lac sombre et mystérieux, pas d’adultes… Le phénomène « réseaux sociaux » est aussi un énorme facteur de stress avec son effet amplificateur et difficile à maîtriser.
2. Parlez-nous d’Antony Marin : quels sont ses points forts et ses faiblesses ? Vous qui avez été commissaire divisionnaire, avez-vous mis de vous-même dans ce personnage ?
Antony Marin est un flic ordinaire qui vit une vie extraordinaire, comme tous les flics que je connais, en ce sens qu’ils sont confrontés au pire, tous les jours. Certains ne le supportent pas, surtout si leur vie personnelle ne leur apporte pas l’aide nécessaire. Marin, lui, n’a pas perdu toutes ses illusions et il croit encore à ce qu’il fait. Il a perdu son innocence, mais pas sa foi ! Sa foi en l’Homme, son empathie naturelle pour les autres, qui sont sa force et sa faiblesse. Sa force parce qu’il avance, malgré les embûches et les traquenards, sa faiblesse parce qu’il a parfois du mal à se défendre. Chaque auteur investit de sa personnalité et de ses sentiments profonds dans ses personnages. Je ne fais pas exception à la règle ! J’ai, comme Marin, côtoyé la noirceur, absolue parfois. En s’y frottant, par la force des choses, on se trouve parfois sali, en tout cas terni, plus tout à fait le même ou la même. Et le fait qu’il soit un homme et moi une femme ne change rien à l’affaire !
3. Marin va apprendre que sa fille, Olympe, connaissait de très près Rafaël et Roxane. En quoi cette découverte lui complique-t-elle très sérieusement la tâche ?
On l’imagine aisément ! Quand, dans une enquête aussi délicate que celle-ci, dans une situation aussi terrible, intervient un membre de la famille de l’enquêteur (et pas n’importe lequel en l’occurrence), les cartes sont forcément truquées. Marin, lui, reste tel qu’il est, au fond. Il essaie de ne pas tenir compte du fait qu’Olympe est sa fille, et il aurait tendance, pour faire contrepoids, à se montrer encore plus dur, plus exigeant avec elle. Ses sentiments et sa proximité avec un des acteurs de l’affaire floutent les données du problème. Heureusement qu’il y a le brigadier Vaillant, le tiers de confiance…
4. Pendant tout le roman, le lecteur se demande si Roxane est une victime ou un démon. Vous nous donnez accès à ses pensées, et pourtant cette adolescente est un mystère. Comment avez-vous créé ce personnage fascinant ?
Elle est arrivée dans ma tête comme ça, sans prévenir. J’avais rêvé toute une nuit de je ne sais plus quoi, c’était tordu, en tout cas (!!) et, au matin, Roxane était là. La fille, le prénom. C’est un grand mystère, la création ! J’ai aussitôt pensé au film The Hole, et je l’ai re-visionné le jour même. J’avais beaucoup aimé ce film à sa sortie et je voulais le revoir, plus pour m’en démarquer qu’autre chose d’ailleurs, car l’histoire que le personnage de Roxane suscitait en moi était très différente… Ensuite, j’ai eu un flash sur les chaussures, dans une brocante… Je trouve toujours consternant qu’on vende ses chaussures… Je n’imagine pas un instant porter les chaussures de quelqu’un d’autre, c’est tellement personnel, intime ! J’ai creusé cette question des chaussures, le syndrome de Cendrillon… et voilà comment on en arrive à traiter du cannibalisme psychologique !
5. Cannibale est votre premier roman pour les adolescents. Avez-vous travaillé autrement que pour vos romans adultes ?
Non, pas du tout. La seule différence est que les personnages importants sont de grands ados. Sinon, l’écriture est la même. Par moments, je m’efforce de simplifier quelques situations, mais c’est à la marge. Cannibale est mon premier roman pour adolescents mais j’en avais écrit un, il y a une vingtaine d’années, qui s’appelle La Guerre des nains, et mettait en scène des jeunes gens et jeunes filles dans une banlieue fatiguée… Il était destiné aux adultes mais ce sont les ados qui l’ont le plus lu !
L'autrice
Danielle Thiéry est l’une des premières femmes de la police française à avoir accédé au grade de commissaire divisionnaire. Elle a suivi une carrière multiforme, s’intéressant aux mineurs en danger, aux stupéfiants, au proxénétisme, en passant par la police criminelle et la lutte antiterroriste ciblée sur le transport aérien et ferroviaire. |
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Elle a publié une vingtaine de polars pour adultes (chez J.-C. Lattès, Belfond, Robert Laffont, Anne Carrière, Rivages, Flammarion…), des documentaires, et écrit pour la série télévisée Quai no1 (France 2). Ses romans ont été récompensés par plusieurs prix, dont le prix du polar à Cognac, le prix Exbrayat et le prix Quai des orfèvres 2013 pour Des clous dans le coeur (Fayard). Chez Syros, elle est l’autrice de la série Lily et Lucas en « Souris noire ». |