
5 Questions à Claire Cantais
Autour du roman Jours Sauvages
1. Les stages d’été bushcraft pour adolescents existent vraiment. Pourquoi vous êtes-vous intéressée à ce sujet ?
Il me semble que cet engouement actuel pour le survivalisme, et sa variante en extérieur, le bushcraft, est significatif de l’état de notre société. Il témoigne d’abord d’une envie de se rapprocher de la nature, dont nous sommes, pour la plupart d’entre nous, citadins, coupés (bushcraft veut dire “l’art de vivre dans les bois”). Mais on y devine aussi l’idée que notre mode de vie actuel est malade. Que nous cherchons des solutions. J’ai à la fois une attirance pour une vie plus proche de la nature (attirance fantasmée qui ne résisterait peut-être pas à l’épreuve de l’expérience !) et une certaine admiration pour ceux qui la tentent. En revanche, le survivalisme dans sa version extrême, catastrophiste, paramilitaire, me fait froid dans le dos, mais présente du même coup un bon contexte romanesque. Dans mon livre, Vesper, ce camp perdu dans les Pyrénées, se situe un peu à mi-chemin des deux. Par ailleurs, j’avais envie de plonger un groupe d’adolescents citadins en pleine nature et de les voir évoluer loin de leurs repères habituels, comme dans un laboratoire à ciel ouvert, sans pour autant avoir recours à la dystopie. Du coup le stage d’été bushcraft est idéal, pas besoin de fin du monde, ni de crash aérien, ou de bactérie ayant anéanti la quasi-totalité de la planète, une colonie de vacances suffit pour isoler ces sept adolescents, qui devront faire face à la nature et à la folie humaine.
2. Vous avez en effet réussi à faire vivre sept filles et garçons dans un même roman, sans compter les trois personnages d’adultes. Avez-vous une tendresse particulière pour l’un de vos personnages ?
Oui, j’en ai pour Joe, et curieusement je me suis attachée à Nolan. Je dis curieusement parce qu’au départ, je ne pensais pas qu’il prendrait autant de place. J’avais besoin d’une figure de « connard », c’était lui. Je pensais que ce serait une silhouette, guère plus, agissant de temps à autre en tenant son rôle. Et puis, en cours d’écriture, j’ai pris un réel plaisir à le faire parler, à le regarder se dandiner, cracher, frimer, du coup il est apparu plus souvent, son personnage a pris de l’épaisseur, et une certaine importance dramatique, puisque c’est lui qui va précipiter les choses en martyrisant Eugène. On le voit évoluer, il devient même un « connard » sympathique au contact de Nouria et des autres.
3. Dès les premiers chapitres, on s’attend à ce que ce séjour dérape sévèrement, et les occasions de dérapage ne manquent pas ! Quelle est la fonction de cette tension permanente ?
Tenir le lecteur en haleine, qu’il ne laisse pas le roman sur un coin de table pour aller faire autre chose ! Mais pas seulement. Cette tension n’est pas gratuite, elle va de pair avec la construction de l’histoire, elle est constitutive de cette colo à l’organisation bancale. Chaque élément inquiétant ou dérapage a sa raison d’être, trouve son explication dans la psychologie des personnages.
Dans la première partie, le décor est planté, on découvre les protagonistes. La pression monte crescendo dans la seconde partie pour exploser dans la troisième. Il était donc important d’installer cette tension dès le départ, pour bien faire comprendre qu’à partir du moment où ils ont mis le pied dans le train, les adolescents sont, sans le savoir, embarqués dans une histoire qui les dépasse. Ils sont dans la marmite, le feu est déjà allumé dessous, ces moments de tension sont comme des bulles qui crèvent à la surface du bouillon.
4. La dernière partie du roman est spectaculaire, visuellement et émotionnellement. Que vouliez-vous faire ressentir aux lecteurs ?
Tout tend vers cette fin, que je voulais cinématographique. En tant que lectrice ou spectatrice, j’aime bien les fins en feu d’artifice, où on pleure de joie ou de tristesse, j’aime être emportée, bouleversée. Je me devais donc d’essayer de faire quelque chose que j’aimerais ire. Dès le départ, je savais à peu près comment se finissait l’histoire, et j’avais envie d’une fin un peu dramatique. Après, il a fallu amener tout le monde au même endroit, dans ce cadre assez grandiose, pour réaliser une sorte de grand final.
5. Si vous deviez donner envie à un adolescent de lire votre roman, que lui diriez-vous ?
Je lui dirais qu’il va être happé par une aventure au cadre inhabituel, sauvage dans les deux sens du terme — vierge et barbare —, qu’il va côtoyer des personnages sympathiques ou horripilants, mais attachants, avec lesquels il va rire parfois, frissonner souvent, qu’il va être balloté sur des chemins caillouteux, malmené, ému, et que le livre, je l’espère, résonnera encore lorsqu’il l’aura refermé.
L'autrice
Diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, un temps photographe plasticienne, Claire Cantais écrit et illustre des albums pour la jeunesse depuis 2005. On trouvera ses ouvrages à L’Atelier du Poisson Soluble, à La Ville brûle, à l’Edune et aux éditions des Braques. Chez Syros, elle est l’autrice de Avec de l’ail et du beurre (coll. Mini Syros Polar, 2012). Jours sauvages est son premier roman pour ados. Un roman acéré et magistral.
Son autre roman chez Syros