5 questions à Alain Gagnol
L'auteur nous parle de son dernier roman Même les araignées ont une maman.
1 • Comme votre trilogie Power Club, Même les araignées ont une maman nous fait rapidement comprendre que la vie d’une ado dotée d’un super pouvoir (ici, la télépathie) n’a rien d’une partie de plaisir ! En quoi ce point de départ fait-il écho (ou non) à celui de Power Club ? Et pourquoi ?
J’ai toujours été fasciné par le genre fantastique parce qu’il fait intervenir l’irrationnel, l’extraordinaire au coeur même de la normalité. C’est le point commun entre ces deux livres puisqu’on retrouve une adolescente dotée de pouvoirs surhumains. Si on accepte ce point de départ, en adoptant un point de vue réaliste, cela ne peut que se passer dans la difficulté. Il faut aussi savoir que les histoires se nourrissent des conflits vécus par leurs personnages. Un personnage à qui tout réussit nous est indifférent, voire antipathique. Tout simplement parce que ce n’est pas l’expérience que nous avons de la vie !
2 • Au fil du livre, le lecteur suit les progrès d’Emma dans la maîtrise de sa télépathie. Avec l’aide de Thomas, elle va se plier à une vraie gymnastique de l’esprit, qui nous rappelle par exemple les techniques de méditation. Est-ce quelque chose qui vous a inspiré ?
Cela vient de ma pratique du Tai Chi Chuan. À partir du moment où on travaille sur l’attention et la conscience de soi, on constate très rapidement que notre cerveau est constamment traversé de pensées contradictoires. Ce qui se passe à l’intérieur des crânes est un ouragan permanent d’idées, de sensations, de souvenirs, de regrets, de joie, etc. Si quelqu’un avait réellement la possibilité d’accéder à ce flux continu, je pense qu’il y aurait de quoi devenir fou. Il suffit de s’asseoir et de rester sans bouger pour se rendre compte du torrent furieux qui occupe en permanence nos pensées. Et parfois, même nos propres pensées peuvent nous sembler insupportables. Le cerveau possède une grande capacité à ruminer ce qui lui est désagréable.
3 • Cet apprentissage d’Emma est motivé par un vrai enjeu de polar : la traque d’un tueur… On tremble avec vos personnages jusqu’au bout ! Comment avez-vous fait pour entretenir cette tension tout au long du roman ?
Le suspense est un jeu avec le lecteur. Je pense que c’est la raison pour laquelle les romans noirs et policiers ont autant de succès. Les lecteurs entretiennent un lien de connivence avec ces livres qui parlent directement à leur imaginaire. On est dans le pur plaisir de s’entendre raconter une histoire, comme lorsqu’on est enfant. Au début d’un roman, une situation est mise en place, avec des personnages particuliers, et cela crée une attente chez le lecteur. Tout le jeu sera de lui donner ce qu’il attend, mais pas de la façon qu’il avait prévue. L’idéal est ensuite de parvenir à créer des personnages auxquels on s’attache. La lecture a cela de magique qu’elle fait exister avec force dans notre tête des créatures imaginaires.
4 • La violence y essaime aussi de façon plus « banale ». C’est par exemple celle des hommes envers les femmes, dont Emma fait l’expérience particulière : avant même qu’elle ne soit victime ou témoin d’une agression, elle perçoit les images dégradantes qui la motivent. Est-ce une façon de montrer que cette violence est ancrée dans notre société, même sous forme latente ?
Personne ne sait ce qui se cache sous le crâne des autres, et je crois que c’est mieux comme ça. Les pensées de chacun sont traversées par des tas d’idées noires, de pulsions plus ou moins avouables, d’émotions négatives. Et c’est normal ! Les êtres humains sont constitués de cette façon. Le travail que chacun doit faire sur soi est de vivre avec ses contradictions intérieures, et surtout de ne pas les laisser s’exprimer dans le monde réel. J’ai voulu aussi profiter du point de vue féminin de mon personnage télépathe pour mettre en scène la violence que certains hommes exercent sur les femmes. Malgré l’évolution bénéfique et spectaculaire qui a eu lieu ces derniers temps sur ce sujet, on est encore loin du compte et l’éducation des garçons a un grand rôle à tenir. C’est une évidence qu’il est toujours bon de rappeler.
5 • Malgré la noirceur de ce que vous explorez, l’humour et la fraîcheur restent toujours présents, par exemple dans la manière d’aborder la relation amoureuse de Emma et Thomas. En quoi est-ce primordial pour vous ? Votre travail de réalisateur et scénariste de films d’animation a-t-il une influence dans cet équilibre si particulier ?
J’ai toujours beaucoup aimé les livres qui ne restent pas constamment sur la même note. Il me semble aussi que le contraste est un des plus forts moyens d’expression. Si on fait succéder une scène dramatique à une séquence comique, elle en sera d’autant plus forte. Si mon travail de réalisateur a une influence sur cet aspect-là de mes livres, cela vient sûrement de la nature même du cinéma. Faire un film, c’est jouer avec le temps et le rythme qu’on impose aux spectateurs. Contrairement à la lecture, où chacun suit son propre tempo. Ce travail développe une attention particulière aux changements et aux ruptures de ton.
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